Il y a 50 ans, les dernières années de la télé black & white
De 1966 à 1970, la télévision vit les dernières années du noir et blanc, c'est en effet en 1967 que vont démarrer, en France, les premières émissions en couleur. Durant cette période, un réalisateur, Raoul Sangla, peu soucieux de ce que la couleur va apporter comme changement, se livre à une démarche créative particulièrement intéressante. Il va s’attacher à « montrer » la spécificité du langage télévisuel et à révéler les beautés de l’écriture en noir et blanc. Il va tout faire pour donner à l’écran de la télé une dimension qu’il n’avait pas, enfermé dans la tristesse grise de ses 50 cm cathodiques.
Raoul Sangla, cet ancien assistant de Marcel Carné, va créer une véritable émotion esthétique en faisant rentrer le spectateur dans une relation intime avec l’événement vivant d’une interview ou d’un spectacle. Sa démarche est claire, pour lui l’espace de la télévision c’est celui du réel. Contrairement au cinéma, l’espace de la télé c’est celui du décor, plus l’envers du décor, plus le spectateur, s’il est présent. À travers son œil, son instinct du direct, sa maîtrise absolue d’une équipe de cameramen habitués à son regard original ; à travers l’utilisation de courtes ou longues focales, de « décadrages », d’amorces floues, de projecteurs dans le champ et d’une échelle fétiche souvent présente, hommage à son père plâtrier, Sangla construit un monde « vivant », à l’envers d’un petit écran qui se contentait habituellement de filmer à plat, dans des cadres et des lumières conventionnels.
Durant ces quelques années, alors qu’il termine ses études de médecine, Luc Benichou a eu la chance d'être invité par Raoul Sangla sur les plateaux de ces émissions cultes que furent Discorama, Permis la Nuit, Bienvenue, où il a à travers cadrages et choix de lumière, essayé de construire une traduction photographique de ces riches heures de la Télé en Noir et Blanc...
Il fallait pour cela se plier à plusieurs contraintes, tout d’abord celle de la photographie artistique, en général, qui est de réaliser le cadrage à la prise de vue. Aucune des photos présentées ici n’a été recadrée, en témoigne la bordure visible de la pellicule. Ensuite celle de la qualité technique du négatif qui doit permettre de réaliser des tirages de très grande surface, bien au-delà d’un mètre carré, sans perte de définition. Parvenir à ce résultat dans le coup d’œil, le cadrage, la technique, a été possible en cette fin des années 60, avec un appareil NIKON F, un objectif NIKON de focale 105mm et l’utilisation d’un film Kodak TriX, volontairement sous-développé à 800 ASA...
Les quelques clichés couleurs qui font suite ont été volontairement réalisés par Luc Benichou ne serait-ce que pour témoigner du démarrage de la Télé couleur. Ils sont avant tout révélateurs, par contraste, de la grande puissance expressive du Noir et Blanc.